Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192 136.
[85v]


près de l’état venitien qu’il me seroit possible pour mettre le tribunal des inquisiteurs d’etat tres à portée de faire observer ma bonne conduite. M. Zuliani frere de la duchesse de Fiano, qui desiroit aussi de me revoir dans Venise appuyoit ce meme conseil, et prometoit d’employer tout son credit à sa faveur.

Determiné donc à changer d’asile, et devant choisir un endroit voisin aux confins de la republique, je n’ai voulu ni Mantuoe, ni Ferrare. Je me suis decidé pour Trieste, où M. Zaguri me disoit d’avoir un ami intime au quel il me recomanderoit. Mais ne pouvant aller à Trieste par terre sans passer par l’état venitien j’ai pensé à y aller par mer. J’ai chosi Ancone, ou des barques pour Trieste partoient tous les jours. Devant passer par Pesaro, j’ai demandé une lettre pour quelqu’un qui put me presenter au marquis Mosca homme de lettres que j’avois envie de connoitre, et M. Zaguri m’en procura une à lui même. Ce marquis venoit de faire beaucoup parler de lui à cause d’un traité qu’il avoit publié sur l’aumone que la cour de Rome avoit fait mettre à l’index. C’étoit un savant devot imbu de la doctrine de Saint Augustin, qui poussée à bout est celle des soidisans jansenistes.

J’ai quitté Bologne avec regret, car j’y avois passé huit mois delicieux. Le surlendemain je suis arrivé à Pesaro tout seul, en parfaite santé, et bien en equipage.

Ayant fait passer ma lettre au marquis, je l’ai vu chez moi dans le même jour enchanté de la lettre que je lui avois portée. Il me dit que sa maison me seroit toujours ouverte, et qu’il me consigneroit à la marquise son epouse pour me faire connoitre toute la noblesse de la ville, et tout ce qui pouvoit être digne d’être vu. Il finit sa courte visite par me prier à diner chez lui le lendemain avec toute sa famille, oû je me verrois, me dit il, seul étranger ; mais cela n’empecha pas qu’il ne m’invite à aller passer la matinée dans sa bibliotheque, oû nous prendrions ensemble une tasse de chocolat.