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qu’elle me rendroit mon livre à table.

J’ai alors cru de la tenir tout au plus tard pour le lendemain. Ma demarche libertine ne l’avoit pas fachée, le premier pas étoit fait. Nous dinames bien, nous bumes mieux, et au dessert Lia tira de sa poche le recueil, et elle m’enflamma me demandant des commentaires ; mais m’empechant sous menace de s’en aller la demonstration qui auroit animée la glose, qui n’etoit faite que pour les yeux, et dont j’avois peut etre plus besoin qu’elle. Impatienté, je lui ai pris le livre, et je suis allé me promener comptant sur l’heure du chocolat.

Lia me dit qu’elle avoit besoin de me demander des explication ; mais que si si je voulois lui faire plaisir je ne devois les lui donner que lui parlant l’estampe à la main. Elle ne vouloit voir rien de vivant. Je lui ai dit qu’elle me resoudroit aussi toutes les questions que je pourrois lui faire sur ce qui regardoit son sexe ; et elle me le promit ; mais avec la même condition que nos observations ne rouleroient que sur ce que nous verrions sur le dessein.

Notre leçon dura deux heures dans les quelles j’ai cent fois maudit l’Aretin, car l’impitoyable Lia me menaçoit de partir toutes les fois que je voulois mettre un bras sous ma couverture. Mais les choses qu’elle me dit sur ce qui appartenant à son sexe et que je pouvois faire semblant d’ignorer me mirent aux abois. Elle me disoit les verités les plus voluptueuses, et elle m’expliquoit si vivement, et si sincerement des mouvemens externes, et internes qui devoient se verifier dans les accouplemens que nous avions sous les yeux qu’il me paroissoit impossible que la seule théorie pût la faire raisonner si juste. Ce qui finissoit de me seduire étoit que nul sentiment de vereconde obscurcissoit la lumiere de ses sublimes doctrines. Elle philosophoit sur cela beaucoup plus savament qu’Hedvige de Geneve. Son esprit étoit si bien d’accord avec son individu qu’il en paroissoit separé. Je lui aurois donné tout ce que je possedois pour couronner son prodigieux talent avec le grand exploit. Elle me jura qu’elle ne savoit rien par pratique, et il me parut de devoir lui croire lorsqu’elle me fit la confidence qu’il lui tardoit d’être mariée pour savoir enfin tout. Elle se ratrista, ou elle