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trepas. Elle se mit en position de lui rendre la vie ; mais la lache regarda sa montre, la laissa dire, et pris sa chemise. Elle n’en fit autant qu’après lui avoir parlé d’un air qui me fit deviner qu’elle lui fesoit des reproches. Quand je les ai vus presque vetus je suis allé dans ma chambre, et me suis mis à une fenetre qui voyoit la porte de la maison. Quatre ou cinq minutes après j’ai vu l’heureux en sortir, et s’en aller. Je me suis remis au lit non pas charmé de me trouver desabusé ; mais indigné, et avili. Lia ne me paroissant plus vertueuse, je ne voyois dans elle qu’un effrenée qui me hayssoit. Je me suis endormi avec intention de la chasser de ma chambre après lui avoir reproché tout ce que j’avois vu.

Mais à son apparition avec mon chocolat j’ai tout d’un coup changé d’idée. Elle étoit La voyant gaye, et j’ai accomodé ma physionomie à son avenant, et après avoir pris mon chocolat, je lui ai dit sans le moindre air de colere toute l’histoire de ses exploits que j’avois pu voir dans la derniere heure de son Orgie en insistant sur l’arbre droit, et sur l’excellente nourriture qu’en veritable Lesbienne elle avoit envoyée dans son estomac. J’ai fini par lui dire que j’esperois qu’elle me donneroit la nuit suivante, tant pour couronner mon amour que pour m’obliger à lui garder un inviolable secret.

Elle me repondit d’un air intrepide que je ne pouvois esperer d’elle la moindre complaisance parcequ’elle ne m’aimoit pas, et que pour ce qui regardoit le secret elle me defioit à le reveler par esprit de vengeance. Je suis sure, me dit elle, que vous n’étes pas capable de commettre une pareille noirceur. Et après m’avoir parlé ainsi elle me tourna le dos, et elle partit.

Effectivement elle me dit vrai. J’aurois comis une faute tres noire, et j’étois bien loin de de me decider à la comettre : je n’y pensois même pas. Elle m’avoit mis à la raison avec une grande, et respectable verité quoique fut dure : elle ne m’aimoit pas : il n’y avoit pas de replique, elle ne me devoit rien : je ne pouvois rien pretendre. C’étoit elle au contraire qui pouvoit pretendre une satisfaction de d’avoir moi même, car je n’avois ni le droit de l’espionner, ni celui de l’insulter en lui recitant ce que je n’aurois jamais su sans une curiosité indiscrete, et non permise. Je ne pouvois me plaindre d’elle si non parcequ’elle m’avoit trompé. Que pouvois-je donc faire ?