Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224 158.
[98v]


pouvoit prendre étoit celui de retourner à Ancone. Ayant le vent en face il étoit impossible d’aller à Fiume ni dans quelque port de l’Istrie. Nous retournames donc en moins de trois heures à Ancone, où l’officier de garde nous ayant reconnus pour les memes qui étoient partis vers le soir eut la complaisance de me permettre de descendre.

Tandis que je parlois à l’officier, le remerciant de ce qu’il me laissoit aller dormir dans un bon lit, les matelots se chargerent de mon equipage et au lieu d’attendre pour savoir où je voulois qu’ils lae portassent, le maitre me dit qu’ils étoient allés le porter dans le même endroit où ils l’avoient pris. Je voulois aller à l’auberge la plus proche, j’enrageois de devoir aller voir encore Lia ; mais c’étoit fait. Mardoquée sortit du lit, et se felicita de me revoir encore. C’étoit trois heures après minuit. Je me suis couché rendu de fatigue, et necessiteux de repos. Je lui ai dit que j’étois tres malade, et que je dinerois seul dans mon lit quand j’appellerois. Petit diner, et point de foye. J’ai dormi dix heures de suite d’un seul somne, avec des douleurs sur tout mon corps ; mais me sentant un excellent appetit. J’ai sonné, et ce fut la servante qui vint me dire que Lia etoit au lit avec un grand mal de tête : j’ai remercié la Providence qui me delivroit de la peine de voir cette jeune furie effrontée.

J’avois trouvé mon diner tres petit : j’ai dit à la servante de me faire un bon souper. Il fesoit un tems abominable. Le consul de Venise vint passer deux heures avec moi, m’assurant que le mauvais tems dureroit au moins huit jours : nouvelle qui me desoloit tant à cause di Lia qu’il étoit impossible que je ne visse comme à cause que je n’avois plus d’argent ; mais j’avois des effets. N’ayant pas vu Lia à l’heure du souper j’ai cru qu’elle ne viendroit plus ; mais je me suis flatté en vain. Elle vint le lendemain matin me demander