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lache un deluge de baisers, elle me prive enfin dans un seul instant de toutes mes facultéos hormis que de celle que je ne voulois pas avoir pour elles. J’employe le seul moment de reflexion qui me reste à decider que j’étois un sot, et que Lia avoit foncierement de l’esprit, et qu’elle connoissoit la nature humaine beaucoup mieux que moi. Mes caresses dans un moment deviennent aussi fougeuses que les siennes, elle me laisse manger ses seins, et elle me fait mourir sur la superficie du tombeau ou à mon etonnement elle me rend sûr qu’elle ne pouvoit m’inhumer qu’en le desserrant.

Ma chere Lia, lui dis-je, après un court silence, je t’adore, comment ai-je pu te haïr, comment as tu pu vouloir que je te haysse ? Seroit il possible que tu ne fusses ici entre mes bras que pour m’humilier, que pour obtenir une vaine victoire ? Si ton idée est telle, je te pardonne ; mais tu as tort, car ma jouissance est beaucoup plus delicieuse, crois moi, que le plaisir que tu peux ressentir de ta vengeance — Non mon ami. Je ne suis ici ni pour triompher, ni pour me venger ; ni pour obtenir une honteuse victoire : je suis ici pour te donner la plus grande marque de mon amour, et pour te rendre mon vrai vainqueur. Rens moi dans l’instant heureuse : brise cette barriere, que jusqu’a ce moment j’ai conservée intacte malgrè sa faiblesse, et en depit de la nature : et si le sacrifice que je te fais te laisse encore douter de la sincerité de ma tendresse, c’est toi qui deviendrois alors le plus mechant, le plus indigne de tous les hommes.

J’ai alors cuilli sans perdre autre tems que le necessaire à un petit arrangement cher même à l’impatient amour un fruit dans le quel ce que j’ai trouvé de plus nouveau étoit l’extreme douceur. J’ai vu sur la belle figure de Lia le symptome extrordinaire d’une douleur delicieuse, et j’ai senti dans sa premiere extase tout son individu tremblant de l’excessive volupté qui l’inondoit. Le plaisir que je ressentois me paroissoit tout nouveau, determiné à ne le laisser parvenir à son comble que lorsqu’il ne me seroit plus possible de l’en empecher j’ai tenu Lia toujours inseparable de moi jusqu’à trois heures après minuit, et j’ai excité toute