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Chapitre IX

Pittoni. Zaguri. Procurateur Morosini. Consul de Venise Gorice. Consul de France. Madame Leo. Mon devouement au tribunal des inquisiteurs d’etat. Strasoldo. La Cragnolina. Le General Bourghaus

L’hote vient me demander mon nom, je fais mon accord, je me trouve tres bien logé au second etage, et mon lit est bon. Le lendemain je vais à la poste prendre mes lettres qui m’attendoient depuis un mois. Dans une de M. Dandolo j’en trouve une ouverte du patricien Marco Donà addressée au Baron Pittoni chef de la police, qui me reccomandoit en forts termes. Je me fais conduire à sa maison, je la lui presente en me nommant, et sans la lire il me dit que M. Donà l’avoit prevenu, et que dans toute occasion il auroit pour moi tous les egards. Je vais porter une lettre de Mardoquée au juif Moïse Levi dans la quelle je ne savois pas qu’il y avoit question de moi : par consequent je la laisse dans sa maison à son comptoir. Ce juif Levi homme sage, aimable, et tres à son aise vint chez moi le lendemain pour m’offrir ses services en tout genre. Il me fit lire la lettre : il n’y avoit question que de moi : il lui disoit que si par hazard j’avois besoin d’une centaine de cequins il repondoit pour moi, et qu’il prendroit comme faites à lui meme toutes les politesses qu’il me feroit.

Je me suis trouvé dans l’obligation d’ecrire à Mardoquée une lettre de remerciment la plus ample ; et de lui offrir tout mon credit à Venise s’il en avoit besoin. Quelle difference entre l’acueil froid du baron Pittoni, et celui du Juif Levi ! Ce baron Pittoni qui avoit dix à douze ans moins que moi étoit aimable, plaisant, et il avoit l’esprit orné de litterature, et sans prejugés.