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Ennemi de toute economie il desaprouvoit la loi du tien, et du mien, il abandonnoit le soin de sa petite maison à son valet de chambre qui le voloit ; mais il ne trouvoit pas cela mauvais, car il le savoit. Il étoit garçon par systeme, grand panegyriste du celibat, galant avec le beau sexe, ami, et protecteur de tous les libertins. Paresseux, et indolent il étoit sujet à des distractions impardonnables qui le tenoient sujet au malheur d’oublier tres souvent des affaires tres importantes quoiqu’essentielles à son office. On disoit qu’il mentoit volontiers, et ce n’etoit pas vrai : il ne disoit pas la verité parceque’il l’avant l’ayant oubliée il ne pouvoit pas la dire. J’ai peint son caractere tel que je l’ai relevé un mois après avoir fait connoissance avec lui. Nous fumes bons amis, et nous le sommes encore.

Après avoir annonce à mes amis de Venise mon arrivée à Trieste j’ai passé huit à dix jours dans ma chambre redigeant tous les memoires que j’avois recueillis à Varsovie concernant tout ce qui étoit arrivé en Pologne depuis la mort d’Elisabeth Petrana. J’ai entrepris l’histoire des troubles jusqu’au demembrement qu’on executoit dans à l’epoque même dans laquelle j’ecrivois. Cet evenement que j’avois predit, et publié par l’impression lorsque la diete polonaise à l’election du Roi Poniatouski reconnut la Czarine qui regne encore vient de mourir pour imperatrice de toutes les Russies, et l’electeur de Brandebourg pour roi de Prusse m’excita à ecrire toute l’histoire jusqu’au demembrement ; et mais je n’en ai publié que les trois premiers tomes à cause de la coquinerie de l’imprimeur, qui ne me tint pas les conditions que nous avons stipulées. On me trouvera les trois autres quatre autre manuscrits après ma mort, et celui qui s’emparera de mes papiers les donnera au public si l’envie lui enviendra. Cela m’est devenu indifferent comme tant d’autres choses depuis que j’ai vu dans mon siecle l’empire de la sottise parvenu au plus haut degré de puissance.