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Quelques jours après le depart de Monsieur Zaguri j’ai reçu un billet du consul qui m’avertissoit que M. le Procurateur Morosini etoit arrivé à Trieste pendant la nuit, et logeoit à ma même auberge. Il me le fesoit savoir, me disant que c’étoit le cas de lui faire ma cour si je le connoissois. C’etoit bien quelque chose J’ai su grand gré fait fait à mon cher consul de m’avoir donné cet avis, puisque M. de Morosini étoit un grand matador tant à l’egard de son eminente dignité de procurateur de S. Marc comme à cause qu’à son tour il étoit grand sage. Il me connoissoit depuis mon enfance, et mon lecteur peut se souvenir que l’année 1750 il m’avoit presenté à Fontaineblo au marechal de Richelieu lorsque Madame soidisante Querini y étoit pour faire la conquête de Louis XV.

Je me suis donc vite habillé comme si j’avois dû me presenter à un monarque, et je suis allé dans son antichambre me faire annoncer lui fesant savoir qui j’étois sur un billet sortit de la chambre pour me recevoir, et il me temoigna le plaisir qu’il avoit de me voir par les expressions les plus gracieuses.

Quand il sut par quelle raison je demeurois à Trieste, et le desir que j’avois de retourner à la patrie après tant de vicissitudes il m’assura qu’il fera tout ce qui dependra de lui pour m’obtenir cette grace du tribunal redoutable au quel il croyoit qu’un sujet comme moi pouvoit la demander après dixsept ans. Il me remercia du soin que j’avois eu de son neveu à Florence, et il me garda avec lui toute la journée, que j’ai employée à lui conter en detail les principales aventures de ma vie. Enchanté de savoir que M. Zaguri étoit pret à tout faire pour moi, il me dit de lui écrire de se concerter avec lui, et il me recomanda avec le plus grand empressement au consul, qui écrivant continuellement au secretaire du tribunal des inquisiteurs d’etat fut enchanté de pouvoir lui rendre compte des marques de consideration que le procurateur m’avoit données, et de l’obligation où il se trouvoit d’avoir pour moi tous les egards.