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Après le depart de M. de Morosini j’ai commencé à jouir de la vie à Trieste comme il falloit pour la rendre durable, et comme elle convenoit à l’economie que je devois observer, car je n’avois de certain que quinze cequins par mois. Je ne jouois donc jamais, et j’allois tous les jours diner au hazard du pot chez ceux qui m’avoitavoient prié une fois pour toujours, et aux quels j’étois sûr de faire plaisir. C’étoit le consul de Venise, celui de France qui étoit un original, mais honete homme, qui avoit un bon cuisinier, chez Pittoni, et chez plusieurs autres ; et pour ce qui regarde le plaisir de l’amour je me le procurois avec les des fillettes toutes sans consequence avec les quelles je ne contractois aucun engagement, je depensoisant fort peu, et je n’exposoisant ma santé à aucun risque.

Vers la fin du carnaval ce fut à un bal qu’on donna au theatre après la comedie qu’un masque habillé en Arlequin me present son arlequine. Ils me firent des niches, et l’arlequine m’ayant interessé il me vint grande envie de la connoitre. ; et Après bien de rechercher faites inutilement M. de S.t Sauveur consul de France me dit que l’arlequin etoit une demoiselle de condition, et l’arlequine etoit un joli garcon, et que si je voulois il me presenteroit à la famille de l’arlequin qui habillé en fille m’interesseroit beaucoup plus que sa camarade garçon. Dans les niches qu’ils me firent jusqu’à la fin du bal je me suis honetement, et avec decence convaincu que le consul ne m’avoit pas trompé sur le faux arlequin, et devenu curieux de voir sa figure j’ai je l’ai sommé le consul de me tenir sa parole le second jour de careme. Ce fut ainsi que j’ai fait connoissance avec Madame Leo, femme d’esprit, qui avoit roti le balai ; mais qui étoit encore aimable. Elle avoit son mari, un fils unique, et six filles toutes assez jolies ; mais celle qui me plut particulierement fut l’Arlequin. Je suis devenu amoureux d’elle ; mais ayant trente ans plus qu’elle, et ayant commencé par ne lui montrer qu’une tendresse