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eu le talent de les seduire toutes les deux. C’étoit un garçon tailleur agé de quinze ans, joli de figure, petit de taille ; mais enrichi par la nature si genereusement que j’ai dû dire qu’elles eurent raison quand j’ai vu l’objet à la vue du quel elles n’eurent pas la force de resister. Ce jeune homme étoit tout gentil : je lui ai decouvert des sentimens qui le declaroient au dessus de son etat. Il n’aimoit ni Marguerite, ni la Buonaccorsi. Dans la liberté de les voir ensemble, il les avoit crues curieuses de ce qu’elles ne voyoient pas, et il les avoient satisfaites. Mais à la satisfaction de la vue succederent des desirs de quelque chose de plus solide ; le jeune homme s’en apperçut, et etant poli, et ayant l’ame noble, il fit le premier pas en leur offrant tout ce qui dependoit de lui. À cet offre les deux filles se consulterent, et se procurerent la jouissance du bel objet en fesant semblant d’être complaisantes.

En les amant toutes les deux, et ayant pour le jeune homme la plus grande amitié, je me procurois souvent le plaisir de le voir agir dans les exploits amoureux, tres content de voir qu’au lieu d’etre jaloux de sa jouissance, et de ses facultés j’en ressentois la belle influence au point d’en partager les delices avec une augmentation de puissance que la vue de ce garçon, plus beau qu’Antinous me fesoit gagner. Je l’ai mis bien en linge, et en jolis habits, et en peu de tems j’ai il mit en moi toute sa confiance, et me mit me mettant à part de tout ce qui se passoit dans son cœur amoureux d’une fille, dont dependoit toute sa felicité, et dont l’amour le rendoit malheureux, puisqu’elle étoit cloitrée, et ne pouvant l’obtenir que par la voye du mariage, il étoit au desespoir, puisque ne gagnant qu’un paul par jour, il n’avoit pas assez pour vivre tout seul. Me parlant toujours de la rare beauté de la fille qu’il adoroit, il me donna envie de la voir, et je l’ai vue ; mais avant de raconter au lecteur comment cela s’est fait, je dois lui detailler