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de la Mezzola à la Lombardie venitienne, et à toutes nos foires. Le consul enfin ne fit qu’en rire. Tel étoit son metier. Dans toutes les petites places de commerce comme Trieste on fait grand cas de petites choses.

Je suis allé diner avec le consul, qui enfin quand il se vit seul avec moi, soulagea toute son ame, et il m’avoua son inquietude, et ses doutes. Lui ayant demandé ce qu’il croyoit que les venitiens feroient pour eviter ce coup, il me dit qu’ils feroient des grandes consultations après les quelles ils ne se determineroient à rien, laissant que le gouvernement autrichien envoye ses marchandises par tel endroit qu’il lui plairoit.

Le fait est que le consul devina. Il ecrivit la nouveauté à son magistrat le meme jour, et dans la semaine suivante on lui repondit que la chose étoit deja connue à L. L. E. E. depuis plusieurs jours par des voyes extraordinaires, et on le chargeoit de poursuivre à informer le magistrat de tout le resultat. Ce ne fut que trois semaines après qu’il reçut une lettre du secretaire du tribunal dans la quelle il lui ordonnoit de me gratifier avec cent ducats d’argent, et de me passer dix cequins par mois pour m’encourager à bien meriter du tribunal. Ce fut pour lors que je n’ai plus douté de ma grace avant la fin de l’année ; mais je me suis trompé. Ce ne fut On ne me la fit que dans l’année suivante, et j’en parlerai à son lieu. Je me suis trouvé à mon aise. Ce que j’avois ne me suffisoit pas à vivre, car certains plaisirs dont je ne pouvois pas me passer me coutoient beaucoup. Je ne me sentois pas mecontent de me voir devenu aux gages du même tribunal, qui m’avoit privé de ma liberté, et dont j’avois bravé la force : il me paroissoit au contraire de triompher, et mon honneur m’engageoit à lui etre utile en tout ce qui ne s’opposoit ni au droit de nature, ni à celui des gens.

Un petit evenement qui fit rire la ville de Trieste ne deplaira pas à mes lecteurs. C’etoit dans le commencement de l’été ; je venois de manger des sardines au bord de la mer, et je ren-