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ou six minutes parlant tout bas ensemble.

Le lendemain le consul me dit que le gouverneur du vaisseau m’avoit trouvé fort prudent ne voulant pas être de cette partie, car si le hazard avoit fait qu’on lui eut dit mon nom, et mes griefs tandis que j’aurois été à son bord il ne m’auroit pas laissé sortir. Quand j’ai dit rendu au gouverneur de Trieste ce que le consul m’avoit dit il me repondit serieusement qu’il n’auroit pas laissé partir le vaisseau. Le procurateur Erizzo me dit le même soir que j’avois tres bien fait, et qu’il fesoit parvenir ce trait aux oreilles du Tribunal.

Dans ces jours là j’ai vu à Trieste une des plus belles venitiennes qui fissant alors parler. Elle y étoit venue en partie de plaisir avec des adorateurs. Elle étoit de naissance dame venitienne de la famille Bon, et elle etoit femme du comte Romili de Bergame, qui lui laissoit sa pleine liberté, n’étant pas moins pour cela son ami intime. Elle trainoit à son char le general comte de Bourghausen, vieux, et gouteux, fameux roué, panier percé, qui avoit quité Mars depuis dix ans pour consacrer plus librement le reste de sa vie à Venus. Cet homme tres gai, et rempli d’experience resta à Trieste : il voulut faire connoissance avec moi, et dix ans après il me fut utile, comme le lecteur verra dans le tome suivant, qui sera peut etre le dernier.

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