Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193. 259
[118r]


et il prit le turban.

Le General venitien de Palma nova qui étoit un patricien de la famille Rota vint alors à Trieste faire une visite au president gouverneur comte de Wagensberg ; le procurateur Erizzo etoit avec lui. L’après diner le gouverneur me presenta à ces Excellences venitiennes qui se montrerent surprises de me voir à Trieste. Le procurateur me demanda si je me divertissois si bien comme à Paris il y avoit alors seize ans ; je lui ai repondu que les seize ans de plus, et cent mille francs de moins me forçoient à être un autre. Le consul entra pour leur dire que la felouque etoit prete, et Madame de Lantieri secondé du comte son pere me dit que je pouvois être de la partie : les trois nobles venitiens qui {{corr|étoit|étoient} là, dont le troisieme m’étoit inconnu, dirent en chœur que je devois y être. Après avoir fait une reverence de tete qui ne disoit ni oui ni non, je demande au consul ce que c’étoit que cette partie en felouque. Il me repondit que nous allions à bord du vaisseau de guerre venitien qui étoit à l’ancre à l’embouchure du port, et dont Son Excellence que je voyois là étoit le gouverneur. J’ai dit alors à la charmante comtesse d’un air riant quoique tres modeste qu’un devoir de plus ancienne date m’empechoit de lui faire ma cour dans cette belle partie. Il m’est defendu, madame, de mettre les pieds en païs venitien. Les oh oh furent alors generaux. Vous n’avez rien à craindre. Vous etes avec nous. Nous sommes des honetes gens. Votre doute est même un peu offensant.

Tout cela est bel et bon, leur dise, et je cede, si quelqu’un de vos Excellences pout m’assurer que les inquisiteurs d’etat ne sauront pas, et peut être pas plus tard que demain que j’ai eu la hardiesse d’intervenir à cette belle partie, qui d’ailleurs m’honore infiniment.

Je les ai vu alors tous, devenus muets, s’entreregarder, et personne n’insista plus. Le noble gouverneur du vaissaux, qui ne me connoissoit pas, s’approcha alors, et ils passerent cinq