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et Sgualda se sauve. En chemise comme j’etois je tenois d’une main son bras au baton, et de l’autre je tachois de l’etrangler. Pour lui avec sa main libre il me tenoit aux cheveux, et se debattoit. Il ne lacha prise que lorsqu’il sentit que je l’etranglois, et dans le moment lui ayant arraché sa canne, et m’etant levé je lui ai sanglé des coups à la tête qu’il fut heureux de pouvoir parer de ses mains prenant la fuite, et se saissisant de pierres dont je n’ai pas attendu les coups. Je rentre, et je m’enferme sans savoir si nous avions été vus, ou non, et je me jette sur le lit tout essoufflé, et faché de n’avoir pas eu la main assez forte pour étrangler ce barbare qu’il me paroissoit de voir determiné à m’assassiner.

Je prens mes pistolets, et je les prepare sur la table apres leur avoir rafraichi le bacinet ; puis je m’habille, et après avoir fermé tout dans ma mâle, je mets mes pistolets dans ma poche, et je sors avec intention d’aller chercher une voiture chez quelque paysan pour retourner d’abord à Gorice. Je prens sans le savoir un chemin qui me fait passer derriere la maison de la pauvre Sgualda ; j’y entre, et je la vois triste, mais tranquille : elle me consola me disant qu’elle n’avoit reçù des coups que sur les epaules qui ne lui avoit fait que peu de mal ; mais elle me dit que la chose deviendroit publique, car deux paysans avoient vu le comte la battre, et m’avoient vu comme elle même m’avoit vu de loin aux prises avec lui. Je lui ai fait present de deux cequins : je l’ai priée de venir me voir à Gorice où je pensois de m’arreter deux ou trois semaines, et de m’aprendre où je pourrois trouver un païsan qui eut une voiture, car je voulois partir d’abord. Sa sœur s’offrit de me conduire à une ferme, où je trouverois voiture, et chevaux, et elle me dit chemin fesant que le comte Torriano étoit ennemi de Sgualda jusque du tems que son mari vivoit parcequ’elle n’avoit jamais voulu de lui.

À la ferme j’ai trouvé ce que je voulois. La voiture étoit une bonne charette, et le païsan me promit de me mettre à Gorice à l’heure de diner. Je lui ai donné un demi ecu des harres, et je suis parti lui disant que j’allois l’attendre. Je vais à la maison du comte, et j’entre dans ma chambre et je mets tout ce que j’avois dehors dans un porte manteau ;. et lLa voiture arrive.