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Je l’ai laissé dire, j’ai fini de m’habiller, et je suis sorti en disant à Marguerite de fermer mon appartement. Ce malheureux est allé se faire annoncer à la duchesse de Fiano, qui l’a reçu pour voir ce que c’étoit. Il l’a priée de s’interesser à sa faveur pour me persuader à le secourir, et elle l’a renvoyé en l’assurant qu’elle me parleroit. Je me suis resenti honteux, et irrité lorsqu’elle m’en parla le soir. Je l’ai suppliée de ne m’en parler plus, et même de ne plus le recevoir. Je l’ai informée en bref de toutes les noirceurs dont il avoit été capable, et de ce que je pouvois craindre ; et elle n’a plus voulu l’ecouter. Il alloit me prostituer chez tous mes amis, et jusque chez l’abbé Gama qui avoit loué un troisieme etage vis à vis la Trinité de Monti : tout le monde me disoit que je devois le secourir, ou le faire partir de Rome, et cela m’ennuyoit. Ce fut l’abbé Ceruti qui dix à douze jours après etre sorti de chez moi ayant allé se loger ailleurs vint me voir pour me dire besoin d’argent étoit venu me voir, et m’avoit trouvé pret la bourse à la main, qui me dit que si je ne voulois pas voir le voir mon frere à l’aumone je devois avoir soin de lui ; mais il me dit q que je pouvois l’entretenir hors de Rome, et qu’il étoit prêt à y aller, si je voulois donner trois pauls par jour. J’y ai consenti ; mais l’abbé Ceruti donna à la chose une tournure qui me plut infiniment. Il parla à un curé qui étoit alors à Rome, et qui deservoit une eglise de religieuses franciscaines. Ce curé prit mon frere avec lui, et lui assigna un teston par jour pour dire tous les jours la messe dans son eglise moyennant l’aumone de ce meme teston, et autres revenans bons s’il reussissoit à la predication que les religieuses de son couvent aimoient à la folie. Ainsi mon frere s’en alla, et je ne me suis pas soucié