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bien, il est modeste, beau garçon, poli, voila tout ce que j’eto je sais — A Madrid etoit il presenté à la cour ? — Je crois qu’oui — Je ne le crois pas. Vous ne voulez pas me dire tout ce que vous savez ; mais n’importe. Je ne risque rien à le presenter au Pape. Il dit qu’il descend de ce Manuzzi fameux voyageur du treizieme siecle, et des illustres imprimeurs Manuzzi, qui on fait tant d’honneur à la litterature. Il m’a montré dans ces armes à seize quartiers l’ancre.

Fort étonné que cet homme qui avoit poussé la vengeance jusqu’a vouloir me faire assassiner parle de moi comme d’un ami intime je me suis determiné à dissimuler pour voir où la chose alloit iroit aboutir. Je l’ai donc vu paroitre sans lui donner aucune marque de mon juste ressentiment, et losqu’après les complimens de devoir qu’il fit à l’ambassadeur, il vint à moi en position de vouloir l’m’embrasser, je l’ai rencontré en ouvrant les bras, et je lui ai demandé des nouvelles de l’ambassadeur. Il parla beaucoup à table disant pour me faire honneur vingt mensonges sur tout ce que j’avois fait à Madrid, en se felicitant, je crois, de ce que mentant il me forçoit à mentir, m’invitant ainsi à en faire autant pour lui. J’ai avalé toutes ces pillules tres ameres ne pouvant pas faire autrement, mais determiné à en venir à une explication serieuse le lendemain tout au plus tard.

Celui qui m’interessa, et qui étoit venu diner chez l’ambassadeur avec Manuzzi etoit un françois qu’on appelloit le chevalier de Neuville. Il étoit venu à Rome pour obtenir la cassation de mariage d’une dame qui étoit dans un couvent