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Je l’ai vu le lendemain matin dans ma chambre dans le moment que je m’habillois pour aller lui faire une visite avec des intentions dangereuses pour tous les deux. Apres m’avoir rendu mes cent cequins, il m’embrassa, et me montrant une grosse lettre de credit sur Belloni, il m’offrit tout l’argent dont je pouvois avoir besoin, et sans me laisser parler il me fit voir qu’oubliant tout nous devions être bons amis pour tout le reste de notre vie. Mon cœur a trahi mon esprit comme il m’est arrivé en plusieurs autres occasions, et j’ai stipulé la paix qu’il m’offroit, et qu’il me demandoit. Le surlendemain je suis allé diner avec lui tête à tête. Le chevalier françois arriva à la fin de notre diner, et après lui le malheureux Medini qui nous engagea tous les trois à jouer en fesant une taille chancun à notre tour. Nous jouames jusqu’au soir, et le vainqueur fut Manuzzi. Il gagna le double de ce qu’il avoit perdu la veille ; ma perte fut de peu de consequence. Celui qui perdit 400 cequins fut Neuville, et Medini qui n’en avoit perdu que cinquante vouloit se jeter par la fenetre.

Manuzzi peu de jour après partit pour Naples après avoir donné deux cent cequins à la maitresse de Medini, qui est allée souper avec lui toute seule ; mais ces deux cent cequins n’empecherent pas Medini d’etre arreté pour plus de mille ecus de dettes qu’il avoit fait. Il m’ecrivit de sa prison des lettres tres pressantes pour m’engager à le secourir ; mais le seul effet que ses lettres firent furent de me persuader à avoir soin de ce qu’il appelloit sa famille, moyennant les complaisances qu’eut pour moi la jeune