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je n’en pouvois plus. Je leur ai fait present pour le premier de l’année 1771 d’un bel habit d’hiver, et de caffé, et de sucre à la superieure qui m’en sut un gré infini. Emilie étant venue souvent à la grille un quart d’heure avant Armelline n’éta qui n’etoit pas encore prête, et pour ne pas me faire attendre tout seul, Armelline commença aussi à venir seule en attendant souvent Emilie qui etant occupée à autre chose n’avoit pas pu descendre avec elle. Ce fut dans ces quarts d’heures de tête à tête que la douceur d’Armelline me rendit amoureux à la perdition.

Emilie avoit pour Armeline autant d’amitié que celle-ci en avoit pour elle ; mais leurs prejugés sur la reserve dependant de tout ce qui appartenoit au plaisirs sensuels étoient si forts, que je n’avois pas encore pu parvenir à les mettre dans un consentement mutuel pour ecouter des propos gaillards, ou pour trouver dignes de pardon toutes les permissions que je desirois qu’elles accordassent à mes mains, et au siennes aussi, et pas même pour laisser à mes yeux avides de voir la liberté de parcourir ce que l’education leur avoit insinué qu’elles devoient cacher aux yeux non seulement de tous les hommes ; mais d’elles mêmes. Elles furent étonnées une fois que j’ai osé leur demander si pour s’entredonner des marques d’une veritable amitié elles couchoient quelque fois ensemble. Elles rougirent, et Emilie me demanda ce que je pouvois m’imaginer qu’il y avoit de comun entre l’amitié, et l’incomodité d’être deux dans un lit fort etroit. Je me suis bien gardé de justifier ma demande, car je les ai vues toutes les deux alarmées de la pensée, qui devoit m’avoir conduit à leur faire cette interrogation : elles étoient toutes les deux composées de chair, et d’os ; mais je me suis trouvé convaincu de leur bonne fois foi : elles ne s’etoient jamais entrecomuniqué leurs secrets mysteres, et elles n’en avoient peut être jamais parlé même à leur confesseur soit par une honte invincible, soit parcequ’elles ne crurent jamais d’avois peché en ce qu’elles avoient purent avoir laissé faire à leur mains. Je leur ai porté des bas de soye blanche epluchés en dedans pour l’hiver qu’elles reçurent avec