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que le galant Cardinal étoit curieux de voir la belle Armelline, et sa curiosité ne m’allarmoit pas, car je ne le connoissois pas pour inconstant. Outre cela, si Armellina lui plaisoit, j’étois sûr qu’il s’interesseroit pour elle egalement que la princesse pour lui trouver un mari fait pour la rendre heureuse en lui procurant des graces qui à Rome sont en grand nombre.

Trois ou quatre jours après, la princesse me fit appeller dans sa loge au theatre Aliberti, et elle me montra le billet du Cardinal pour aller voir la maison avec les personnes qui seront en sa compagnie. Elle me dit que nous fixerons le jour, et l’heure le lendemain après diner. Le lendemain matin, la superieure vint à la grille pour me dire que le Cardinal patron lui avoit fait savoir que la princesse Santa Croce viendroit voir la maison en compagnie, ce qui lui fesoit un vrai plaisir. Je lui ai dit que je le savois, et qu’elle me verroit avec la princesse. Elle vouloit savoir quand ; mais je n’en savois rien : je lui ai promis de l’avertir d’abord que je le saurois. Elle me dit d’un air enjoué que cette nouveauté avoit mis toute la maison sens dessus dessous, et renversé les têtes de toutes les begueules, puisqu’à l’exception de quelques pretres, du medecin, et du chirurgien personne depuis que la maison avoit été fondée n’y étoit entrée pour la simple curiosité de la voir. Je lui ai dit qu’actuellement il n’y avoit plus question d’excomunication ; et qu’ainsi elle ne devoit plus avoir aucune idée de cloture ; et qu’elle pouvoit donc recevoir elle même des visites particulieres aussi sans la permission du Cardinal. Elle me repondit en souriant qu’elle ne l’oseroit pas.

L’après diner nous fixames l’heure pour le lendemain, et j’en ai averti la superieure le matin. La duchesse de Fiano fut de la partie, et nous y descendimes à trois heures. Le cardinal n’avoit aucune enseigne de sa eminente dignité. Il connut d’abord Armelline