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trois heures chez la princesse, où j’ai trouvé le cardinal. Ils s’attendoient à la narration d’un petit triomphe, et ils furent surpris d’entendre le contraire, et sur tout de me voir indiferent.

Je paroissois tel peut être ; mais il s’en falloit que je le fusse. N’étant pas dans l’age de faire l’enfant, j’ai donné une tournure comique à ma mauvaise fortune, en finissant par leur dire que n’aimant pas les Pamela j’avois pris le parti d’abandonner l’entreprise. Le Cardinal me dit qu’il m’en feroit compliment dans trois jours.

Armelline ne me voyant pas ce jour là, crut que j’avois dormi tard ; mais lorsqu’elle ne me vit pas le surlendemain, elle envoya chercher son frere pour savoir si j’étois malade, car je n’avois jamais eté deux jours sans la voir. Marcuccio Menicuccio vint donc me faire part de l’inquietude de sa sœur, charmé d’ailleurs de pouvoir aller lui dire que je me portois bien — Oui, mon cher ami, allez lui dire que je poursuivrai à solliciter à sa faveur la princesse ; mais qu’elle ne me verra plus — Pourquoi donc ? — Parceque je veux tacher de guerir de ma malheureuse passion. Votre sœur ne m’aime pas, et je n’en suis que trop convaincu. Je ne suis plus jeune, et je ne me sens pas disposé à devenir le martir de la vertu. L’amour ne permet pas à une fille, vertueuse tant qu’il vous plaira, de la pousser si loin. Elle ne m’a jamais accordé la legere faveur d’un baiser — Je ne l’aurois pas cru par exemple — Croyez le. Je dois finir. Votre sœur est trop jeune, et elle ne sait pas à quoi elle s’expose en agissant ainsi vis a vis d’un homme amoureux, et de mon age. Dites lui tout cela sans vous mêler de lui donner des conseils. — Vous ne sauriez croire combien cela m’afflige. Il se peut que la presence d’Emilie la gêne — Non, car je l’ai souvent pressée tête à tête. Je dois enfin me guerir, et si elle ne m’aime pas je ne veux pas la conquerir ni par la seduction, ni par la reconnois-