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sance. L’exercice de la vertu ne coute rien à une fille qui n’aime pas ; elle peut se sentir ingrate, mais elle se plait à sacrifier la reconnoissance au prejugé. Comment vous traite votre future ? — Tres bien depuis qu’elle est sûre que je l’epouserai.

Je fus faché alors d’avoir commencé par me donner pour marié, car piqué comme j’étois je lui aurois promis de l’epouser sans intention même de la tromper. Marcuccio Menicuccio s’est enallé affligé, et je suis allé à l’assemblée des Arcades au Capitole, ou la marquise d’Aout devoit reciter sa piece de reception. C’étoit une jeune françoise qui étoit à Rome depuis six mois avec son mari doux, et aimable comme elle, mais lui cedant beaucoup du coté de l’esprit. Cette marquise avoit même du Genie ; j’ai commencé ce jour là à lier avec elle grande connoissance ; mais sans la moindre idée d’amour : je laissois volontiers la place libre à un abbé françois qui étoit amoureux fou d’elle, et qui pour elle abandonna sa fortune.

La princesse Santa Croce me disoit tous les jours qu’elle me donneroit la clef de sa loge quand je voudrois pour conduire à l’opera ces filles même sans elle ; mais quand elle vit que huit jours s’étoient ecoulés sans que j’y fusse retourné, elle commença à croire que j’avois tout à fait rompu. Le cardinal me croyoit toujours amoureux, et il louoit ma conduite ; il me predit que la Superieure m’ecriroit, et il devina. Elle m’ecrivit au bout de huit jours un billet court, et poli, dans le quel elle me prioit d’aller la demander au parloir. J’ai cru de ne pouvoir me dispenser d’y aller.

L’ayant demandée seule, elle descendit seule à dix heures du matin. Elle debuta par me demander pourquoi ainsi de