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posé une conduite, qui devoit m’amuser de pouvoir vivre à Rome non seulement sans avoir besoin de personne, mais même en y fesant une respectable figure.

J’ai trouvé le lendemain des lettres à moi addressées dans presque tous le bureaux des postes, et le chef de la banque Belloni qui me connoissoit depuis long tems deja averti des lettres de change, dont j’etois porteur. Monsieur Dandolo toujours mon fidele ami m’envoyoit deux lettres de reccomandation écrites par le même noble venitien Monsieur de Zuliani, qui m’avoit recomandé à Madrid à l’ambassadeur Mocenigo avec le consentement des inquisiteurs d’état. Une de ses lettres étoit addressée à Monsieur Erizzo ambassadeur de Venise ce qui me fit le plus grand plaisir C’etoit le frere du meme Erizzo qui avoit été ambassadeur à Paris. L’autre étoit adressée à sa sœur duchesse de Fiano. Je me voyois dans l’apparence d’être faufilé dans toutes les grandes maisons de Rome ; je me fesois un vrai plaisir de l’idée de me presenter au Cardinal de Bernis, lorsque je serois deja connu de toute la ville. Je n’ai pris ni voiture, ni domestiqüe ; cela n’est pas necessaire à Rome, où l’on a l’un et l’autre dans l’instant quand on en a besoin.

La premiere personne à la quelle j’ai presenté ma lettre fut la duchesse de Fiano, qui étant deja prevenuee par son frere me fit l’acueil le plus gracieux. C’étoit une femme fort laide, point du tout riche, et mais d’un tres bon caractere : ayant tres peu d’esprit, elle avoit pris le parti d’etre gayement medisante pour faire croire qu’elle en avoit beaucoup. que Rome ne pût dire qu’elle en manquoit. Le duc son mari, qui portoit le nom d’Ottoboni en ayant le droit et qui l’avoit epousée pour se procurer un heritier étoit impotent, impuissantce qu’en appelle en langage romain babilano ; ce fut la premiere confidence qu’elle me fit la troisieme fois que je l’ai vue ; mais elle ne me dit pas cela d’un ton, qui auroit pu me faire juger qu’elle ne l’aimoit pas, ni que pour cela elle eut voulu se donner pour femme à plaindre, car il parut qu’elle ne me le disoit que pour se moquer d’un confesseur qu’elle avoit, et qui l’avoit menacée de lui refuser l’absolution si elle poursuivoit à faire tout son possible pour le faire devenir puissant.