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filles une proposition, dont je n’ai vu tout ce qu’elle avoit de tyrannique, et d’injuste que le lendemain. Malgrè cela elles se regarderent un moment ; puis elles furent prêtes. Je leur ai dit en biaisant que je devois eviter que l’equipage de la maison Santa Croce ne fût connu si nous sortions du théatre avec la foule, et que nous y retournerions le surlendemain. J’ai empeché Armelline de mettre la tete hors de la loge pour saluer la marquise d’Aoust. J’ai trouvé à la porte le valet qui me servoit qui causoit avec un de ses camarades, ce qui me fit juger que la princesse étoit à l’opera. Nous allames descendre à l’auberge. J’ai dit à l’oreille du laquais d’aller à l’hotel, et de revenir une trois heures après minuit. Dans le froid qu’il fesoit je devois avoir des egards pour les chevaux.

Nous nous mimes d’abord devant le feu, où pour une demie heure je ne me suis occupé que des belles huitres qu’un marmiton habile ouvroit à notre presence attentif à ne pas perdre une seule goute de la savoureuse eau dans la quelle elles nageoient. Nous les mangions à mesure qu’on les ouvroit, et les rires de ces filles, qui pensoient au jeu de l’echange commença à dissiper ma mauvaise humeur. Dans la douceur d’Armellina il me sembloit de voir l’innocence de sa belle ame, et je me voulois du mal de ce qu’envieux de la justice que lui avoit rendu un homme fait pour lui plaire beaucoup plus que moi, j’avois permis à un sentiment haineux de parvenir à troubler ma paix. Armellina en bouvant du champagne comme je lui avois apris me regardoit de façon à me prier de joindre ma gayeté à la sienne. Emilie me parla de son futur mariage ; et sans lui repeter que mais je ne lui ai pas repondu que j’irois à Civitavecchia je lui ai promis que son futur auroit en peu de jours les dispenses en baisant cent fois les mains de la belle Armellina, qui paroissoit me remercier d’être redevenu tendre.

Egayés par les huitres, et par le champagne, nous soupames delicieusement. Nous eumes de l’esturgeons, et des trufles exquises,