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su enchanter — C’est, à ce qui me semble, un fort bel homme, mais au compliment qu’il m’a fait je deplore son mauvais gout le crois defectueux dans l’esprit. Je vous prie de me dire si c’est la mode de faire rougir ainsi une fille qu’on voit pour la premiere fois — Non ma chere Armelline, ce n’est ni la mode, ni la politesse, ni une regle un proceder permise permis à quelqu’un qui veut voir la bonne compagnie, et qui à l’usage du monde.

Enfoncé dans le silence, j’avois l’air de n’ecouter que la belle musique ; mais le fait étoit que le ver de la lache jalousie me rongeoit le cœur. J’examinois le sentiment de rancune qui m’agitoit, et je travaillois dans mon esprit pour le trouver raisonnable, car il me paroissoit que ce florentin devoit me supposer amoureux d’Armelline, et ne devoit pas debuter par lui faire la plus belle de toutes les declarations d’amour à ma presence sans crainte de me deplaire à moins de ne me prendre pour quelqu’un qui ne seroit en compagnie d’un si jolie fille que pour en être le complaisant. Au bout d’une demie heure de ce silence, la nayve, et sincere Armelline me mit dans un état encore plus mauvais me disant avec un tendre regard que je devois me tranquilliser, et être sûr que ce jeune homme ne lui avoit fait le moindre plaisir en la flattant ainsi. Elle ne sentoit pas que c’étoit me dire precisement le contraire. Je lui ai repondu que tout au contraire je desirois qu’il lui eut s’il lui avoit fait plaisir, je n’en serois pas faché, d’autant plus qu’il lui avoit dit la verité fait plaisir. La bonne enfant poursuivit encore à me tourmenter me disant qu’il avoit peut être cru que j’étois son pere.

Que repondre avec à cette raison aussi cruelle que plausible ? Rien. Enrager, me taire, et enfin n’en pouvant plus prier Armelline, et Emilie de nous en aller. C’étoit à la fin du second acte, et certainement si j’avois possedé mon bon sens je n’aurois jamais fait à ces bonnes