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alors remis en état de decence avant qu’elle se debandent, ce qu’elles firent quand elles entendirent ma sentence. Emilie, ma chere dis-je à Armelline a les cuisses, les anches, et tout plus formé que vous ; mais vous devez encore grandir. Muettes, et riantes elles se mirent à mes cotés croyant, je ne sais pas comment, de pouvoir se desavouer tout ce qu’elles m’avoient laissé faire. Il m’a paru ; mais je n’ai rien dit qu’Emilie avoit eu un amant ; mais Armelline étoit à tous egards intacte. Elle avoit l’air plus humilié que l’autre, et beaucoup plus de douceur dans ses grands yeux noirs. J’ai voulu prendre un baiser sur ses belles levres, et j’ai trouvé fort singulier qu’elle detourna sa tête en me serrant cependant les mains de toute sa force.

Nous avions parlé de bal. Elles en etoient fort curieuses : c’etoit la fureur plus que la passion de toutes les filles de Rome depuis que le pape Rezzonico les avoit tenues à jeun de ce plaisir pour pendant tous les dix ans qu’il avoit de son regnée. Ce pape qui avoit permis au Romains les jeux de hazard de toute espece, leur avoit defendu de danser ; son successeur Ganganelli ayant une autre cervelle avoit defendu le jeu, et avoit donné une entiere permission à la danse. Il ne savoit pas pourquoi il devoit empecher ses sujets de sauter. Je leur ai donc promis de les conduire au bal après avoir trouvé dans le quartier de Rome le plus eloigné du plus peuplé un bal où elles ne risqueroient pas d’être connues. Je les ai conduites au couvent trois heures après minuit assez content de tout ce que j’avois fait pour après six heures de plaisir continuel par le quel j’avois beaucoup calmé mon amour ; mais calmer mes desirs, malgrè que par là j’eusse augmenté non pas diminué ma passion ; car j’étois je me trouvois convaincu plus que jamais qu’Armelline étoit faite pour être adorée de tout homme sur le quel la beauté avoit droit d’exercer un empire absolu. J’étois à la tete de ces adorateurs dans le nombre de ses sujets, et bien me fache de l’être encore, et de me voir dans la misere, puisque l’epuisement presque plus d’ de l’encens je n’ai plus ni encens, ni et un a rendu l’encensoir deplorable.