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de toute la comedie sans comme moi sans la moindre interruption. Arrivant à l’auberge j’ai ordonnée à la voiture de revenir à deux heures, et nous allames nous mettre devant le feu tandis qu’on se fatiguoit à ouvrir les huitres qui ne nous interessoient plus comme les deux premieres fois. Ces filles avoient pris vis à vis de moi la contenance qui convenoit à leur état actuel. Emilie avoit l’air d’une personne, qui ayant vendu de la bonne marchandise à credit, conserve un air de pretention à cause du bon marché qu’elle a fait à l’acheteur. Armelline tendre, riante, et un peu humiliée me parloit des yeux, et me fesoit souvenir de la parole que je lui avois donnée. Je ne lui repondis que par des baisers enflammés, qui la rassuroient ; mais qui en même tems lui fesoit fesoient prevoir que je voudrai augmenter de beaucoup les devoirs que j’avois contractés avec elle. Elle me paroissoit resignée, et avec le contentement dans l’ame je me suis mis à table ne m’occupant que d’elle. Emilie, à la veille de se marier, n’eut pas de peine à voir croire que je ne la negligeois qu’à cause d’un sentiment de respect qui me paroissoit dû au sacrement avec le quel elle alloit se lier.

Après notre souper gai, et voluptueux comme de coutume, je me suis mis sur le large sopha avec Armelline, où j’ai passé trois heures que j’aurois pu me rendre delicieuses, si je ne m’etois pas obstiné à vouloir la derniere faveur. Cette fille n’y voulut jamais consentir. Ni mes caresses, ni mes paroles, ni [illisible] mes emportemens ne purent cependant jamais lui faire perdre sa douceur. Tendre entre mes bras, tantot riante, et tantot amoureusement triste dans le plus eloquent silence, elle ne m’accorda jamais ce que je poursuivit toujours à vouloir sans cependant avoir jamais la mine de me le et qu’elle ne m’a jamais refuséer.