Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82 82.
[47v]


ses graces pour lui anticiper l’argent, et le même jour qu’elle sortit du couvent elle se maria, et elle partit pour Civitavecchia avec son mari. Trois jours après Marcuccio Menicuccio epousa sa maitresse, et Armellina vint à la grille le lendemain avec la superieure, et une nouvelle fille qui pouvoit avoir deux ou trois ans plus qu’elle, et qui étoit tres jolie ; mais elle ne m’interessa que mediocrement : amoureux toujours d’Armellina, dont j’aspirois à l’entiere conquête je ne pouvois qu’être indifferent pour tout autre objet. La superieure me dit que cette fille, qui s’appelloit Scolastique seroit à l’avenir la camarade inseparable d’Armelline, et qu’elle étoit sûre qu’elle sauroit se gagner mon estime, car elle étoit aussi sage qu’Emilie ; mais qu’en recompense je devois m’interesser pour elle dans l’inclination qu’elle avoit pour un jeune homme qui avoit un tres bon emploi, et qui seroit prêt à l’epouser, s’il avoit assez d’argent trois cent ecus pour payer trois cent la dispense qui lui étoit necessaire pour l’epouser. Ce garçon Il étoit fils d’un cousin de Scolastique en troisieme degré, elle l’appelloit s’il étoit son neveu, quoiqu’il fût plus agé qu’elle ; et la grace n’étoit pas difficile, si à obtenir en payant ; mais pour l’obtenir gratis j’avois besoin de trouver quelqu’un qui la demandat je pouvois engager quelqu’un à la demander au saint pere. Je lui ai promis de parler.

Le carnaval s’acheminoit à sa fin, et Scolastique n’avoit jamais vu ni opera ni comedie. Armelline avoit envie de voir un bal, et j’en j’avois enfin trouvé un, où il me paroissoit d’être sûr que personne ne nous connoitroit, mais la chose pouvant avoir des consequences, il falloit prendre des precautions : je leur ai demandé si elles vouloient s’habiller en hommes, dont j’aurois fait mon affaire, et elles y consentirent de tout leur cœur. J’avois une loge au theatre Aliberti pour le lendemain de ce bal, ainsi je les ai averties de demander permission à la superieure, et de m’attendre sur la brune, où j’irois les prendre comme à l’ordinaire dans une voiture de la maison Santa Croce. Quoique decouragé par la resistence d’Armelline, et par la presence de sa nouvelle camarade, qui ne me paroissoit faite ni pour être brusquée, ni pour garder le manteau, j’ai cependant