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fait porter à l’auberge où nous allions toujours tout ce qui étoit necessaire pour habiller ces filles en hommes.

Armellina montant dans la voiture me donna la mauvaise nouvelle que Scolastique n’étoit à part de rien, et que nous ne devions nous permettre la moindre chose à sa presence. Je n’ai pas eu le tems de lui répondre. L’autre monta, et nous allames à l’auberge, où à peine entré dans la chambre où il y avoit bon feu, j’ai dit d’un ton qui montroit de l’humeur que si elles vouloient être en plein liberté, j’irois dans l’autre chambre, malgrè qu’il y fesoit froid. En disant cela je leur ai montré les habits d’homme. Armellina me repondit qu’il suffisoit que je leur tournasse le dos ; en ajoutant : n’est ce pas Scolastique ? — Je ferai comme toi ; mais je suis tres affligée ; car je suis sûre que je vous gêne. Vous vous aimez, et c’est tout simple : je vous empeche de vous en entredonner des marques. Je ne suis un enfant. Je suis ton amie, mais tu ne me traites pas en amie.

À ce langage du bon sens ; mais qui pour s’ennoncer si bien demandoit une bonne dose d’esprit, j’ai respiré. Vous avez raison, belle Scolastique, lui dis-je, j’aime Armellina, et elle cherche un pretexte de ne pas m’en donner des marques parcequ’elle ne m’aime pas.

En disant ces paroles, je suis sorti de la chambre, et j’ai fermé la porte. Je me suis mis à me faire du feu. Un quart d’heure après Armelline frappa, et me pria d’ouvrir. Elle étoit en culotes. Elle me dit qu’elles avoient absolument besoin de moi, car les souliers etant trop petits elles ne pouvoient pas se les chausser. Comme je boudois, elle vint à mon cou, et elle n’eut pas de peine à me calmer ; je lui disois mes raisons en couvrant de baisers tout ce que je voyois, lorsque Scolastique nous surprit avec un grand eclat de rire. J’étois sûre, nous dit elle, que je vous genois ; mais si vous n’avez pas en moi toute la confiance, je vous avertis que je