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cœur j’ai pris le même parti. Armellina s’étant dispensée de danser, la marquise la fit asseoir entr’elle et le florentin, et le marquis d’Aoust s’empara de Scolastique : mon devoir étoit celui de n’avoir des attention que pour la marquise, et de ne pas seulement regarder Armellina à la quelle le Florentin tenoit des discours qui l’occupoient entierement. Jaloux comme un tigre, et en devoir de dissimuler, le lecteur peut se figurer combien je souffrois, et combien je me repentois d’être venu à ce bal. Mais la cruauté de ma situation augmenta lorsque j’ai vu un quart d’heure apres Scolastique se detacher du marquis d’Aoüt, et parler debout dans un coin de la sale à un homme ni jeune ni vieux qui d’un air honnête paroissoit tenir avec elle un discours tres interessant.

Les minuets suspendus, on s’arrange pour une contredanse, et je suis surpris de voir Armelline rangée avec le Florentin, elle en homme lui en fille. Je les approche pour leur faire compliment, et avec un ton des plus doux je demande à Armellina, si elle etoit sûre de savoir la contredanse. Monsieur m’a dit, me repondit elle, qu’il est impossible que je la manque en ne fesant que tout ce qu’il fera. Je n’ai rien à repondre. Je vais vers Scolastica, beaucoup curieux de cet homme qui lui parloit. Elle me le presente d’un air timide, et elle me dit que c’étoit son parent neveu, le même qui desiroit de faire son bonheur ayant obtenant la permission de l’epouser. Ma surprise fut grande ; mais je la dissimule à la perfection : je lui dis tout ce que je pouvois lui dire d’honete, et de consolant, en lui comuniquant que la superieure m’avoit prevenu, et que j’avois deja pensé au moyen d’obtenir la grace du saint pere pourque la dispense permission de se marier ne coutant le sou ni à lui, ni à elle. Il se recomande à moi, en me disant qu’il n’étoit pas riche, et je me console en voyant qu’il n’étoit troublé par le moindre sentiment de jalousie.