Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/119

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pouvois me venger de ce qu’il m’avoit ridiculiſé dans un mauvais roman, mais pas autrement que comme il eſt permis de ſe venger à un bon chrétien. Il me dit d’aller faire publiquement ſon éloge dans les caffés où il étoit connu. J’ai ſuivi ſon conſeil, et j’ai trouvé la vengeance parfaitte. D’abord que j’en avois dit du bien, tout le monde, en ſe moquant de mon éloge, prononçoit contre lui des ſatires ſanglantes. Je ſuis devenu l’admirateur de la profonde politique du père Origo.

Vers le ſoir on porta lit, fauteuil, linge, eaux de ſenteur, un bon dîner, et des bouteilles de bon vin à M. l’abbé, qui n’a pu rien prendre ; mais je ne l’ai pas imité. Depuis neuf mois que j’étois là, ce fut le premier bon repas que j’ai fait. On laiſſa mon lit là où il étoit, on ne balaya pas, on nous fit entrer, et nous reſtâmes ſeuls.

J’ai commencé par tirer hors du trou ma lampe, et ma ſerviette qui tombée dans la caſſerole s’étoit imbibée d’huile. J’en ai beaucoup ri. Un accident de peu de conſéquence arrivé par une raiſon qui pouvoit en avoir des tragiques a droit de faire rire : j’ai mis tout en bon ordre ; j’ai bien nettoyé ma