Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/135

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j’ai connus à la poutre iroient le lui arracher des mains. Dans cette terrible priſon, où ordinairement les détenus ſont condamnés jusqu’à leur dernière heure, et avec une nourriture pareille où il ſemble qu’un homme ne puiſſe vivre que cinq à ſix mois, pluſieurs y vivent jusqu’à la vieilleſſe ; et on m’a aſſuré qu’un vieillard de quatre vingts ans qui mourut dans ce tems là y avoit été mis à l’âge de quarante : perſuadé d’avoir mérité la mort il ſe trouva peut-être heureux : il y a des gens qui ne craignent que la mort : c’étoit un eſpion qui dans la dernière guerre que la république eut contre le turc l’année ſeize, partoit de Corfou, entroit dans l’armée du grand Viſir pour découvrir ce qu’on y décidoit, et pour en inſtruire M. le maréchal de Schoulenbourg qui défendoit la fortereſſe : cet infame étoit dans le même tems l’eſpion du grand Viſir. Dans ces deux heures d’attente je n’ai pas manqué de me figurer qu’on alloit peut-être me tranſporter dans les puits. Dans un endroit où on ſe nourrit d’eſpérances chimériques on doit auſſi avoir des craintes extrêmes. Le tribunal qui pouvoit diſpoſer de moi, maître de l’éminence, et de la profondeur du palais auroit fort-bien pu envoyer