Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/143

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tenoit enfermée là-haut, et il ajouta que je m’étonnerois, ſi je ſuſſe quelles étoient les perſonnes qui partageoient mon même ſort. J’ai alors contrefait l’homme pénétré de reſpect, et ſans perdre une minute j’ai pris le premier tome de la chronologie du père Petau, et je lui ai dit de me porter en échange un autre livre d’égale importance : quatre minutes après il me porta le premier tome de Wolff en latin ; et très-content j’ai retiré l’ordre que je lui avois donné de m’acheter Maffei. Charmé de m’avoir fait entendre raiſon ſur cet article, il s’en alla.

Moins ravi de m’amuſer à cette ſavante lecture que de ſaiſir l’occaſion d’entamer une correſpondence avec quelqu’un qui auroit pu m’aider au projet de fuite que dans ma tête j’avois déjà ébauché, j’ai feuilleté le livre, et j’y ai trouvé une demi feuille de papier ſur lequel j’ai lu dans ſix bons vers la paraphraſe de ces mots de Sénèque calamitoſus eſt animus futuri anxius. J’en ai fait d’abord ſix autres, et n’ayant pas de crayon je me ſuis ſervi du ſuc de mûres noires au lieu d’ancre, et m’ayant laiſſé croître l’ongle du petit doigt de ma main droite pour me polir les oreilles, j’y ai fait la pointe, et je m’en ſuis ſervi