Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/142

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jamais comment qu’en préſence du ſecrétaire du tribunal. Il me pria alors de penſer qu’il avoit des enfans, et il s’en alla. Je fus bien enchanté d’avoir trouvé le moyen de me faire craindre de cet homme auquel il étoit décidé que je duſſe couter la vie : je fus alors convaincu que ſon propre intérêt le forçoit à tenir caché au miniſtre du tribunal ce que j’avois fait. Le petit vent qui ſouffloit tous les jours, et qui toujours à la même heure entroit chez moi me rendit la force, et l’appétit.

J’ai ordonné à Laurent de m’acheter les œuvres du marquis Maffei : cette dépenſe lui déplaiſoit, et il n’oſoit pas me le dire. Il me demanda quel beſoin je pouvois avoir de livres pendant que j’en avois là plus de cinquante : je lui dis que je les avois tous lus, et qu’il me falloit du nouveau. Il me répondit que, ſi je voulois en prêter à quelqu’un, il m’en feroit prêter auſſi, et que moyennant cela je m’occuperois à une lecture toute neuve ſans dépenſer le ſou. Je lui ai oppoſé que les livres qu’on pourroit me prêter ſeroient peut-être des romans frivoles dont je n’aimois pas la lecture : il me répliqua d’un air piqué que je me trompois, ſi je croyois d’être la ſeule bonne tête qu’on