Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/161

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mettant deſſus à chaque main beurre, et fromage, et je n’ai ceſſé, que lorsque le grand plat deſtiné au moine ne pouvoit en contenir davantage. Le beurre alloit jusqu’aux extrêmités de ſes bords. Le diamêtre de ce plat étoit quaſi le double de la largeur de la Bible. Je l’ai pris, et je l’ai placé ſur le grand livre que j’avois à la porte de mon cachot, et en le prenant au-deſſus de mes mains avec le doſſier tourné vers Laurent, je lui ai dit d’allonger ſes bras, et d’étendre ſes mains : c’eſt là que j’ai placé ma Bible tout doucement pour que le beurre ne coule deſſus. En lui conſignant cet important fardeau je tenois mes yeux fixés contre les ſiens, qu’avec le plus grand plaiſir je ne voyois pas ſe détourner de deſſus le beurre qu’il craignoit de verſer. Il le prit en ſe plaignant que j’en avois mis trop, mais en y tenant toujours les yeux fermes deſſus, et en diſant que ſi quelque goutte alloit ſe verſer ſur le livre, ce ne ſeroit pas ſa faute. Je me ſuis vu ſûr de la victoire d’abord que j’ai vu la Bible ſur ſes mains, car les deux bouts du verrou, qui étoient éloignés de mes yeux toute la largeur du livre, lorsque je le tenois, étoient devenus inviſibles pour lui, lorsqu’il le tenoit