Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/168

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qu’il me demandoit étoit de lui permettre de poſter vis à vis de lui la ſainte image que je lui avois montrée pour l’adorer en diſant ſon Roſaire. Je lui ai fait ce plaiſir, et j’ai même accompagné ſa prière, ce qui dura une demi-heure. Je lui ai demandé, s’il avoit dîné, et il me dit qu’il étoit à jeun : je lui ai donné tout ce que j’avois, et il dévora tout avec une faim canine ; mais en pleurant toujours : ayant bu tout le vin ſans eau il ſe trouva gris, et pour lors ſes larmes redoublèrent, et il lui prit une forte envie de parler. Je lui en ai fourni un grand ſujet en l’interrogeant ſur la cauſe de ſon malheur. Voici le précis de ſa réponſe, que mon eſprit n’oubliera qu’en paſſant le Styx. Je la rends fidellement au lecteur dans l’ordre de narration qu’il ſuivit lui-même.

« Mon unique paſſion dans ce monde, mon cher maître, fut toujours la gloire de cette ſainte république, et l’exacte obéiſſance à ſes lois : toujours attentif aux malverſations des fripons dont le métier eſt celui de tromper, et fruſtrer de ſes droits leur prince, et de tenir cachées leurs démarches, j’ai tâché de découvrir leurs ſecrêts, et j’ai toujours fidellement rapporté à Meſſer grande tout ce