Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/185

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le livre pour le père Balbi, nous quitta, j’ai dit à Soradaci de venir manger la ſoupe. Cet homme s’étoit tenu couché, ayant dit au gardien qu’il étoit malade ; et ne ſe ſeroit pas levé de ſa paillaſſe, ſi je ne l’euſſe pas appellé. Il ſe leva, s’étendit ſur ſon ventre à mes pieds, me les baiſa, et me dit en verſant des larmes, et en ſanglotant qu’à moins que je ne lui pardonnaſſe, il ſe voyoit mort dans la journée, et qu’il ſentoit déjà le commencement de la malédiction dépendante de la vengeance de la ſainte vierge que j’avois conjurée contre lui : il ſentoit des tranchées qui lui déchiroient les entrailles, et ſa langue s’étoit remplie d’ulcères : il me la montra alors et avec quelque ſurpriſe je l’ai vue réellement couverte d’aphtes : je ne ſais pas, s’il les avoit le jour auparavant. Je ne me ſuis pas ſoucié de l’examiner beaucoup pour voir, s’il diſoit la vérité, mon intérêt étoit celui de faire ſemblant de le croire, et de lui faire eſpérer pardon : il falloit le faire manger. Il avoit peut-être l’intention de me tromper ; mais déterminé à le tromper comme j’étois, il s’agiſſoit de voir, lequel de nous deux joueroit avec plus d’habileté ſon perſonnage.