Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/186

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J’ai emprunté dans l’inſtant une phyſionomie d’inſpiré, et je lui ai ordonné de s’aſſeoir. Mangeons ce potage, lui dis-je, et après je vous annoncerai votre bonheur. Sachez que la ſainte vierge m’eſt apparue à la pointe du jour, et m’a ordonné que je vous pardonne : vous ne mourrez pas, et vous ſerez heureux. Tout ébahi il mangea la ſoupe avec moi à genoux, puisqu’il n’y avoit pas de chaiſes, puis il s’aſſit ſur ſa paillaſſe pour m’écouter ; voici mon discours.

« La douleur que votre trahiſon m’a cauſée m’a fait paſſer toute la nuit ſans dormir, puisque mes lettres que vous avez données au ſecrétaire ayant été lues par les inquiſiteurs d’état, j’étois ſûr qu’après leur lecture ils m’auroient condamné à paſſer ici tout le reſte de ma vie. Mon unique conſolation, je le confeſſe, étoit celle d’être certain que vous mourriez dans le terme de trois jours dans ce cachot même ſous mes yeux. Ayant la tête pleine de ce ſentiment indigne d’un chrétien, car Dieu veut que nous pardonnions, un aſſoupiſſement à la pointe du jour me procura une véritable viſion. J’ai vu cette même image de la ſainte vierge, que vous voyez ici, devenir vivante, ſe mouvoir, ſe