Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/23

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parceque c’eſt le marché aux herbes, aux fruits, et aux fleurs : les hommes, et les femmes galantes qui ont paſſé la nuit dans les plaiſirs de la table, ou dans les fureurs du jeu ont l’habitude d’aller y faire un tour de promenade avant que d’aller ſe coucher. Cette promenade demontre qu’une nation peut facilement changer de caractère. Les venitiens de jadis myſtérieux en politique, et en galanterie ſont éffacés par les modernes dont le goût prédominant eſt celui de ne faire plus aucun myſtère de rien. Ce lieu offre un beau coup d’œil, mais il n’en eſt que le prétexte. On va dans l’Erbaria plus pour ſe faire voir que pour voir, et les femmes l’aiment plus que les hommes : elles veulent que le monde ſache qu’elles ne ſe génent pas : la coquetterie y eſt exclue à cauſe du délabrement de la parure. Le jour commence alors, mais perſonne n’a l’air d’en convenir : c’eſt la fin du précédent ; chaqu’ homme, chaque femme doit voir dans l’autre les marques du désordre : les hommes doivent afficher l’ennui d’une complaiſance trop uſée, et les femmes doivent faire parade des debris d’une vieille toilette qu’on n’a pas reſpectée : tout le monde doit avoir l’air rendu, et mon-