Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/239

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aux barcaroli, ſe crut en devoir de calmer mes pleurs, dont il ne connoiſſoit pas la belle ſource ; et la façon, dont il ſe prit me fit effectivement paſſer tout d’un coup des pleurs à un rire d’une eſpèce ſi ſingulière, que n’y comprenant rien, il m’avoua quelques jours après qu’il me crut devenu fou. Ce moine étoit bête ; et ſa méchanceté venoit de ſa bêtiſe : je me ſuis vu à la dure condition d’en tirer parti ; mais il m’a presque perdu ſans pourtant en avoir l’intention. Il n’a jamais voulu croire que j’aie ordonné d’aller à Fuſine avec l’intention d’aller à Meſtre : il diſoit que cette penſée ne pouvoit m’être venue, que lorsque j’étois ſur le grand canal.

Nous arrivâmes à Meſtre. J’ai été tout droit à la Campane, auberge où il y a toujours des voituriers. Je ſuis entré dans l’écurie diſant que je voulois aller d’abord à Treviſo, et le maître de deux chevaux, que j’ai jugés bons, m’ayant dit qu’il me ſervira dans une caleche fort-légère en cinq quarts d’heure, je lui ai accordé quinze livres, et je lui ai dit d’atteler d’abord : ce qu’il fit en n’employant que deux minutes. Je ſuppoſois le père Balbi derrière moi ; je ne me ſuis retourné que pour lui dire montons ; mais je ne