Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/240

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l’ai pas vu : je le cherche des yeux, je demande où il eſt ; on n’en ſait rien. Je dis au garçon d’écurie d’aller le chercher, déterminé à le gronder, quand même il ſeroit allé ſatisfaire à des néceſſités naturelles, car nous étions dans le cas de devoir différer cette beſogne auſſi. On le cherche, on ne le trouve pas ; il ne vient pas ; j’étois comme une ame damnée ; je penſe à partir ſeul ; mais mon cœur s’oppoſe à ma raiſon ; je ne puis pas m’y réſoudre. Je cours dehors, je demande, et tous les poliſſons me diſent qu’ils l’avoient vu, mais qu’ils ne ſavoient pas, où il étoit allé. Je vole tout ſeul dans la grande rue, je parcours les arcades, je m’aviſe de mettre la tête dans un café, et je le vois aſſis près du comptoir prenant du chocolat avec toute ſa commodité en cauſant avec la ſervante. Il me voit, et il me dit aſſeyez-vous, et prenez du chocolat auſſi, puisque vous devez le payer. Je n’en veux pas, lui dis-je, avec l’angoiſſe au cœur, et je lui ſerre le bras avec une telle rage, que huit jours après il en avoit encore la marque noire. Il ne me répondit rien ; il me voyoit trembler de colère : j’ai payé, et nous ſortîmes pour aller à la voiture, qui m’attendoit à la porte de l’auberge.