Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/242

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mit à courir à toutes jambes en direction oppoſée à Meſtre, ſe tournant de tems en tems, et me faiſant des baiſemains, qui vouloient dire bon voyage, bon voyage, partez tranquille. Je l’ai enfin perdu de vue, et j’ai remercié Dieu que la prudence de cet homme m’ait empêché de commettre un crime, car il n’avoit pas de mauvaiſes intentions ; mais ma ſituation étoit horrible : j’étois alors en guerre déclarée contre toutes les forces de la république, et j’étois ſeul : je devois donc tout ſacrifier à la précaution, et à la prévoyance.

J’ai remis dans ma poche l’eſponton, et morne comme un homme qui venoit d’échapper à un danger mortel, j’ai donné un coup d’œil de mépris au lâche, qui m’avoit réduit à cela, et je me ſuis acheminé à la voiture, où nous montâmes, et où nous arrivâmes à Treviſo ſans qu’il nous arrive rien de ſiniſtre. Mon compagnon, qui ſe ſentoit coupable, n’oſa jamais m’exciter à ſortir de mon ſilence. Je penſois à quelque moyen de me délivrer de cette compagnie, qui avoit tout l’air de devoir me devenir fatale.

J’ai ordonné au maître de la poſte de Treviſo une voiture à deux chevaux pour