Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/248

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de lui dire, et qu’il avoit déjà pris ſon parti là-deſſus jusque du tems qu’il étoit encore en priſon : qu’il étoit décidé à ne pas me quitter, quand même cela auroit dû lui couter la liberté, et la vie. Une réponſe ſi ronde, et inattendue me ſurprit au plus haut degré. J’ai alors fini de bien connoître cet homme, et j’ai vu qu’il ne me connoiſſoit pas. Je n’ai pas différé une minute à exécuter un projet formé ſur le champ, et que l’exigence du cas me démontroit comme le ſeul remède contre une pareille brutalité : il tenoit du comique ; mais je voyois en même tems qu’il pouvoit terminer tragiquement.

Je me ſuis levé non ſans effort : j’ai noué enſemble mes deux jarretières, je l’ai méſuré, et puis j’ai tracé ſa méſure ſur le terrain ; et mon eſponton à la main, j’ai commencé une petite excavation avec le plus grand empreſſement ne répondant rien à toutes les queſtions qu’il me faiſoit. Après un quart d’heure d’ouvrage, je lui ai dit en le regardant triſtement, qu’en qualité de chrétien je me croyois obligé à l’avertir qu’il devoit ſe recommander à Dieu. Je vous enterrerai ici tout vivant, lui dis-je, ou ſi vous êtes le plus fort, ce ſera vous-même qui m’y enterrerez. C’eſt à ceci que votre brutale