Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/260

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il me dit qu’il avoit cru que je lui en euſſe demandé ſoixante : c’eſt vrai, lui dis-je, mais actuellement que tu m’as réduit à employer la violence, je n’en veux que ſix, et tu n’auras pas de billet, mais je te promets que je te les ferai payer à Veniſe, où je te déshonorerai en écrivant des lettres circulaires, qui te feront connoître pour le plus lâche des hommes. Il ſe jetta alors à genoux me conjurant de prendre tout, ſi je croyois d’en avoir beſoin, mais ma réponſe fut un coup de pied dans la poitrine, et une menace de lui brûler la maiſon, ſi, à ma ſortie de chez lui, il eût oſé m’inquiéter.

J’ai marché deux heures, et voyant la nuit, je me ſuis arrêté à une maiſon de payſan, où j’ai trouvé du fromage, du pain, des œufs, et du vin, diſpoſé à dormir ſur la paille. N’ayant pas aſſez de monnoie pour me changer un cequin, je l’ai envoyé en chercher à la paroiſſe, lui diſant que j’acheterois volontiers un manteau. Je dormois à ſon retour, et il ne m’a pas réveillé ; mais le matin il me montra une vieille redingote bleue de gros drap appartenante au curé : je lui en ai donné deux cequins, et je ſuis parti. Je me ſuis acheté à Feltre des ſouliers, et j’ai paſſé à cheval d’un âne la bicoque qu’on ap-