Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/32

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jours après cela je fus arrêté, et ces mêmes livres m’ayant été demandés par Meſſer grande, j’ai fait là-deſſus des conjectures ſans cependant rien décider. Ce que j’ai ſu après fut, que ce venitien étoit eſpion du tribunal.

En ſortant de ma chambre je fus ſurpris de voir trente à quarante archers : on m’a fait l’honneur de les croire néceſſaires pour s’aſſurer de ma perſonne, tandis que deux auroient été aſſez ſelon l’axiome ne Hercules quidem contra duos. Il eſt ſingulier qu’à Londres où tout le monde eſt brave on n’emploie qu’un ſeul homme pour en arrêter un autre, et qu’à Veniſe ma patrie, généralement on eſt poltron, on en emploie trente : je crois que cela vient de ce que le poltron obligé à aſſaillir a toujours plus de peur que l’aſſailli, et l’aſſailli peut par la même raiſon devenir brave : et effectivement l’on voit ſouvent à Veniſe de gens arrêtés qui ſe ſont défendus, et qui enfin ne ſe rendirent qu’accablés par le nombre.

Meſſer grande me fit entrer dans une gondole où il ſe plaça près de moi n’ayant gardé que quatre hommes, et ayant renvoyé tout le reſte. La gondole arriva chez lui : il me fit entrer dans une chambre où il me