Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

table, ni meuble d’aucune eſpèce, excepté un baquet pour les beſoins naturels, et une ais aſſurée au mur, large un pied, et élevée du plancher quatre. J’ai placé là mon beau manteau de ſoye, et mon joli habit mal étrenné, avec mon chapeau bordé d’un point d’Eſpagne, et d’un plumet blanc. La chaleur étoit extrême. Triſte, et rêveur la nature m’a porté au ſeul lieu, où je pouvois me repoſer ſur mes coudes : je ne pouvois pas voir la lucarne ; mais je voyois la lumière, qui éclairoit le galetas, et des rats gros comme des lapins qui ſe promenoient. Ces hideux animaux dont j’abhorrois la vue, venoient jusque ſous ma grille ſans nulle marque de frayeur. J’ai vite enfermé le trou de la porte avec un volet intérieur ; leur viſite m’auroit glacé le ſang. Je ſuis tombé dans la rêverie la plus profonde, mes bras toujours croiſés ſur la hauteur d’appui, où j’ai paſſé huit heures immobile, dans le ſilence, et ſans jamais bouger.

J’ai entendu ſonner vingt une heures, et j’ai commencé à m’inquiéter de ce que je ne voyois paroître perſonne, de ce qu’on ne venoit pas voir ſi je voulois manger, de ce qu’on ne me portoit pas un lit, une chaiſe,