Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/38

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et au moins du pain, et de l’eau. Je n’avois pas d’appetit, mais il me ſembloit qu’on ne devoit pas le ſavoir : jamais de ma vie je n’avois eu la bouche ſi amère : je me tenois cependant pour ſûr que vers la fin du jour quelqu’un paroîtroit : mais lorsque j’ai entendu ſonner le vingt-quatre heures je ſuis devenu comme un forcené heurlant, frappant des pieds, peſtant, et accompagnant de hauts cris tout le vain tapage que mon étrange ſituation m’excitoit à faire. Après plus d’une heure de ce furieux exercice ne voyant perſonne, n’entendant pas moi-même le moindre indice, qui m’auroit fait imaginer que quelqu’un pût avoir entendu mes fureurs, enveloppé de ténebres j’ai fermé la grille, craignant que les rats ne ſautaſſent dans le cachot : je me ſuis jetté étendu ſur le plancher avec mes cheveux enveloppés dans un mouchoir. Un pareil impitoyable abandon ne me paroiſſoit pas vraiſemblable quand même on eût décidé de me faire mourir. L’examen de ce que je pouvois avoir fait pour mériter un traitement ſi cruel ne pouvoit durer qu’un moment, car je ne trouvois pas matière pour m’arrêter. En qualité de grand libertin, de hardi parleur, et