Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/55

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exagéré contre le cœur, ou pour mieux dire contre le livre du cœur de Jeſus, et contre la cité myſtique qui dans l’ardeur de la fiévre me faiſoit égarer dans ſes mêmes délires ; et il me plut, en convenant que ces deux drogues m’avoient donné les hémorroïdes, et la fiévre : il me quitta en m’aſſurant qu’il ne m’abandonnera pas, après m’avoir fait lui-même une fort-longue limonade qu’il mit à côté de moi, dont il me pria de boire ſouvent. J’ai paſſé la nuit toujours aſſoupi, et rêvant des extravagances myſtiques.

Le matin deux heures plus tard que d’ordinaire je l’ai vu avec le gardien, et avec un chirurgien qui me ſaigna d’abord du bras : il me laiſſa une médecine qu’il me dit de prendre le ſoir, et une bouteille de bouillon fort-léger : il me dit qu’il avoit obtenu la permiſſion de faire tranſporter mon lit dans le galetas, où la chaleur étoit moindre, grace qui poſitivement m’épouvanta à cauſe des rats que j’abhorrois plus que la mort : il ne trouva pas à redire à la raiſon de mon refus ; mais ce qui me conſola, et qui vraiment mit ce médecin dans toutes mes bonnes graces fut qu’il jetta hors du cachot les deux mauvais livres, et me donna à leur place Boece.