Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/59

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de leurs ſucceſſeurs, qui n’auroient ſu que faire de moi ; car ils n’auroient pu leur communiquer le moindre crime de ma part. Je trouvois impoſſible qu’ils m’euſſent condamné, et écrit ma ſentence ; car ſelon mon ſyſtème cela ne pouvoit pas ſe faire ſans me parler, ſans me la communiquer : celui de la ſavoir en même tems que ſon crime eſt le droit inconteſtable de tout criminel, auquel notre religion nous dit que Dieu même devenu notre juge ſe ſoumettra dans le jour noviſſime. Tels étoient mes raiſonnemens, et tels ſont ceux de tous les priſonniers qui ne ſe ſentent pas criminels : on ſe figure immancable ce qu’on déſire, Arioſte dit : il miſer ſuole dar facile credenza à quel che vuole ; et Seneque dans une de ſes tragédies l’a dit encore plus élégamment quod nimis miſeri volunt hoc facile credunt.

Mon raiſonnement n’avoit pas lieu vis à vis des regles du tribunal qui ſe diſtingue de tous les tribunaux de la terre, et qui ne fait pas profeſſion d’une certaine politeſſe. Quand il procède contre un délinquant il eſt déjà ſûr qu’il l’eſt : quel beſoin a-t-il donc de lui parler ? Et quand il l’a condamné quelle néceſſité y a-t-il de lui donner la mauvaiſe