Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/76

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cette diſtinction, il me dit qu’aux quatre il y avoit pêle-mêle toute ſorte de gens dont la ſentence quoiqu’à eux non connue étoit écrite : il pourſuivit à me dire que ceux qui étoient comme moi ſous les plombs, confiés à lui, étoient tous des perſonnes de la plus grande diſtinction, et criminels de ce qu’il étoit impoſſible que les curieux devinaſſent. Si vous ſaviez monſieur quels ſont les compagnons de votre ſort ! Vous vous étonneriez, car il eſt vrai qu’on dit que vous êtes un homme d’eſprit ; mais vous me pardonnerez. Vous ſavez que ce n’eſt rien qu’avoir de l’eſprit pour être traité ici… vous m’entendez… cinquante ſous par jour c’eſt quelque choſe… on donne trois livres à un patricien, et je dois le ſavoir je penſe, puisque tout paſſe par mes mains. Ici il me fit ſon propre éloge tout compoſé de qualités négatives : il me dit qu’il n’étoit ni voleur, ni brutal, ni méchant, ni menteur, ni traître, ni ivrogne, ni avare comme tous ſes prédéceſſeurs ; il me dit que ſi ſon père l’eût envoyé à l’école, il auroit appris à écrire, et qu’il ſeroit au moins Meſſer grande, puisque S. E. André D…, qui à ſon tour étoit toujours inquiſiteur d’état l’eſtimoit beaucoup, et qu’il avoit une femme qui n’avoit que vingt-quatre