Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/77

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ans, et que c’étoit elle-même qui me faiſoit à manger. Il me dit que j’aurois le plaiſir d’avoir avec moi tous les nouveaux arrivés, mais tous pour peu de jours ; car lorsque le ſecrétaire avoit rélevé d’eux ce qu’il avoit beſoin de ſavoir de leur propre bouche, il les envoyoit à leur deſtination, ou aux quatre ou dans quelque fort, ou s’ils étoient étrangers il les faiſoit accompagner où on leur annonçoit l’exil. La clémence du tribunal, mon cher monſieur, eſt ſans exemple, et il n’y en a aucun autre au monde qui procure à ſes priſonniers plus de douceur, et d’agrémens : on trouve cruel qu’il ne permette ni d’écrire ni de recevoir des viſites, et c’eſt une folle idée, car écrire ne ſert à rien, et recevoir des viſites eſt une perte de tems ; vous me direz que vous n’avez rien à faire ; mais les gardiens ne peuvent pas dire cela.

Voilà à peu près la première harangue dont ce bourreau m’a honoré, et qui au vrai m’amuſa : j’ai décidé que j’aurois pu avoir un gardien beaucoup moins bête, et beaucoup plus méchant. J’ai fait pluſieurs diſpoſitions pour tirer quelque parti de ſa bêtiſe.